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Sur les traces du peuple thrace

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    Sur les traces du peuple thrace

    Sur les traces du peuple thrace

    La Bulgarie est le nouvel eldorado de l'archйologie. C'est lа qu'apparaоt, au Ve millйnaire avant notre иre, la premiиre civilisation dйveloppйe d'Europe, celle des Thraces. Les plus anciens occupants de la pйninsule balkanique.

    Par Maya de Loлn

    La dйcouverte en 1971, prиs de Varna, sur la mer Noire, d'une nйcropole de 294 tombes, datant des Ve-IVe millйnaires av. J.-C., rйvиle une civilisation insoupзonnйe. Les 3 000 objets en or trouvйs dans les sйpultures tйmoignent du remarquable savoir-faire des orfиvres de l'йpoque. Ces bracelets, diadиmes, appliques et sceptres appartenaient а une sociйtй organisйe dont l'aristocratie йtait puissante et riche. Depuis trente ans, dans toute la Bulgarie, d'inestimables trйsors ont йtй йgalement mis au jour, tous en or ou en argent massif. Plus de trente tombeaux mausolйes (Ve-IIIe siиcle av. J.-C.) ont йtй dйgagйs et ouverts. Le tout premier, dйcouvert en 1944, а Kazanlak, reste un des rares chefs-d'oeuvre de l'art antique а nous кtre parvenus parfaitement conservйs.

    Ainsi donc, au moment oщ des foyers de civilisation brillent sur les terres d'Egypte, de Palestine et d'Asie Mineure, en Europe, dans les Balkans, rayonne une civilisation non moins brillante. La conquкte romaine l'affaiblit considйrablement. L'arrivйe des Slaves et des Bulgares achиve le travail. De culture orale, sa voix s'est tarie avec le temps. A la lumiиre des nouvelles dйcouvertes, son histoire йmerge peu а peu, bousculant les modиles йtablis.

    L'annйe 2004 restera dans l'histoire de l'archйologie bulgare comme l'annйe « en or ». Au mois d'aoыt, а deux kilomиtres du village de Shipka, prиs des vestiges de Seuthopolis, l'antique capitale du royaume des Odrysses, l'йquipe d'archйologues du professeur Gueorgui Kitov qui explore le tumulus appelй la Sainte touche au but. La vallйe alentour qui porte le joli nom de Vallйe des Roses - au centre gйographique de la Bulgarie - est, en fait, la « Vallйe des rois » thraces. Des 1 500 tombes de la nйcropole, rares sont celles qui ont йchappй aux pilleurs. Mais Kitov est un homme chanceux. Depuis le dйbut de la saison, lui et ses collиgues ont mis au jour cinq tombeaux thraces. Un record. Dans l'un d'eux se trouve un temple vieux de vingt-quatre siиcles ; dans un autre, la premiиre tombe en briques du IVe siиcle av. J.-C.

    L'ouverture de la sйpulture du tumulus de la Sainte est imminente. La premiиre des six dalles retirйe, le chef de l'expйdition verse du vin rouge sur le sol en signe de respect envers les morts, coutume bulgare empruntйe aux rites funйraires thraces. Peu а peu, l'intйrieur apparaоt. Ses parois, maзonnйes, sont de gros blocs de granite habillйs de plaques plus fines. Le dйblaiement dure tout l'aprиs-midi. Tard dans la soirйe, а la lumiиre du groupe йlectrogиne, les archйologues dйcouvrent, а l'endroit oщ doit se trouver la tкte du dйfunt, un masque en or massif de 690 grammes, face vers la terre.

    La trouvaille fait sensation. Seuls les pharaons d'Egypte et les rois de Mycиnes et de Thrace partaient dans l'au-delа parйs de tels masques. Celui-ci a cependant quelque chose d'unique, il cйlиbre la vie et non la mort. Le professeur Kitov pense tout de suite au grand roi Tires, fondateur au Ve siиcle av. J.-C. du royaume des Odrysses qui s'йtendait depuis le Danube infйrieur jusqu'а la mer Egйe et de la mer Noire а la Macйdoine. La puissance militaire et йconomique de l'Etat odrysse tenait en respect ses voisins, Athиnes comprise.

    Outre les 144 pointes de flиches, les quatre fers de lance et une йpйe, une cuirasse en bronze, en parfait йtat, complиte la parure du dйfunt. Elle est en deux parties, poitrine et dos, reliйes par des plaques en fer. « Aprиs cette dйcouverte, commente le professeur, nous sommes en mesure de dire trиs exactement а quoi ressemblait le guerrier thrace. »

    Une bague en or de 20 grammes, de fabrication grecque, reprйsentant un athlиte olympique qui fait de l'aviron, et une coupe en argent а fond plat et а deux anses sont les derniers objets retirйs de la tombe. Il n'y a pas de squelette а proprement parler, seulement quelques ossements d'un corps dйmembrй, enterrй vraisemblablement selon le rite orphique. La lйgende raconte qu'Orphйe fut pareillement mis en piиces par les Mйnades, furieuses de ne pouvoir accйder а l'initiation qu'il dispensait. Seuls les hommes y avaient droit. Descendants d'Orphйe, enfants de la Terre et du Soleil, les Thraces croyaient dans la vie aprиs la mort. La tкte du guerrier thrace fut probablement emportйe par les eaux du fleuve l'Hиbre (aujourd'hui la Marica).

    A la fin septembre, а quelques kilomиtres de lа, dans le tumulus la Grande Kosmatka, l'йquipe du mкme Kitov fait une nouvelle dйcouverte : le tombeau supposй du roi Seuthиs III (IVe s. av. J.-C.), qui donna son nom а la citй de Seuthopolis. A l'entrйe du tombeau mausolйe, une magnifique tкte de bronze, arrachйe а ce qui a dы кtre une statue grandeur nature, accueille l'йquipe. Elle reprйsente un homme а la barbe de patriarche, au front dйgarni et au regard d'une intensitй rare. Les yeux sont en pierres semi-prйcieuses. Un dieu ? Kitov penche plutфt pour l'effigie du souverain thrace. Les jours suivants lui donnent raison. L'occupant de la chambre funйraire est bien le roi. Deux des objets, une coupe а vin et une petite cruche, portent l'inscription « propriйtй de Seuthиs III ». Un couloir long de 13 mиtres et deux piиces prйcиdent la chambre funйraire, creusйe dans un bloc de granite de 60 tonnes. Cette salle est fermйe par deux portes en marbre, dйcorйes de tкtes de femme. Dans la premiиre des deux salles gisent les restes d'un cheval ; la seconde est vide.

    En moins d'une heure, 73 piиces, toutes provenant de la chambre funйraire, voient le jour aprиs une nuit longue de presque deux millйnaires et demi. Vingt sont en or, leur poids avoisine les 4 kg, dont un joyau : une couronne de plus d'une livre, tressйe en feuilles de lierre, symbole de Dionysos. Sa dйcouverte fait reculer la date de leur apparition et renforce la thиse qui place Dionysos au sommet des divinitйs thraces.

    Parmi les objets en mйtal noble : un gobelet а vin de 400 grammes, l'intйrieur finement dйcorй de langues de feu et de diverses plantes. Dans son fond ainsi que sur quelques piиces de monnaie, figure l'йtoile а seize branches dite de Verghina. Emblиme des rois de Macйdoine, cette йtoile orne le dessus du coffret, dйcouvert en 1977, qui contient les cendres de Philippe de Macйdoine. « Ce symbole connu comme йtant celui des Macйdoniens est, en fait, un symbole thrace », affirme Kitov.

    S'ajoutent une tкte de cerf, une de dйesse et... une de Nиgre qui pose un problиme aux archйologues. Une huоtre en argent massif dorй, avec un mйcanisme d'ouverture en parfait йtat, suscite l'admiration.

    Le tombeau mausolйe de la Grande Kosmatka, seul reconnu formellement comme sйpulture royale, se range naturellement parmi les plus importants sites thraces dйcouverts а ce jour. « Vйnйrй а ses dйbuts, il a dы, pour des raisons inconnues, кtre profanй et abandonnй », commente l'archйologue. En tйmoigne le comblement, а l'aide de terre et de pierres, du long couloir.

    Dans un autre tombeau, celui du tumulus Ostroucha, dйcouvert en 1993, les fresques du plafond, formй de 43 caissons, de la chambre funйraire racontent la saga de la dynastie royale qui rйgna durant la seconde moitiй du IVe siиcle av. J.-C., l'йpoque de Seuthиs III. Dora Petkova, peintre restaurateur et collaboratrice du professeur Kitov, vient de livrer ses conclusions. Composй de motifs gйomйtriques, le plafond comporte trois niveaux : l'infйrieur retrace le passй dynastique, l'intermйdiaire son prйsent illustrй par les portraits de la famille ; le supйrieurest rйservй а l'au-delа.

    Dйjа en aoыt 2000, а Starossel, dans la rйgion de Plovdiv, les archйologues mettaient au jour le plus impressionnant des ensembles cultuels de la pйninsule balkanique (VIe-Ve siиcle av. J.-C.). Sa situation gйographique et ses dimensions monumentales font supposer qu'il s'agit du principal centre religieux du royaume, transformй en sanctuaire а la mort du roi (probablement Sitalces) et, pour cette raison, enterrй. Large de six mиtres, le vestibule a des allures d'entrйe royale. L'escalier qui y mиne, spйcimen unique en Thrace, s'apparente aux meilleurs exemples de l'architecture grecque classique.

    En dйcembre 2000, nouvelle euphorie pour l'йquipe. Les murs du tombeau dйcouvert а Alexandrovo (IVe siиcle av. J.-C.), composй d'une antichambre et d'une chambre funйraire, sont recouverts de fresques exceptionnelles. « Tout ce que nous savions des Thraces nous apparaоt а prйsent sur ces murs, explique Kitov. Ce tombeau est le deuxiиme, aprиs celui de Kazanlak, а possйder des fresques mettant en scиne des hommes. » Les couleurs ont gardй tout leur йclat : les rouges, bleus, jaunes et noirs dansent sur le fond ocre. Guerriers en armes, scиnes de chasse, plantes constituent la carte de visite d'un monde oubliй. Mais la Vallйe des rois thraces est loin d'avoir livrй tous ses secrets. Kitov et ses collиgues en sont conscients. Des 60 000 tumulus thraces de Bulgarie, 1 000 ont йtй visitйs, parmi lesquels 11 renfermaient des tombeaux.

    Depuis 1990, le professeur Kitov prйside la commission archйologique de l'Acadйmie bulgare des sciences. Sous sa direction, l'expйdition a fait la plupart des grandes dйcouvertes en matiиre d'archйologie funйraire thrace dans le pays.

    Une deuxiиme йquipe, celle du professeur Nicolai Ovcharov, travaille dans la partie est du mont Rhodope. Depuis 1983, celui-ci йcume la rйgion. Intuition et persйvйrance ont fini par payer.

    Au cours de l'йtй 2000, Ovcharov dйcouvre, а 15 km de Kurdzhali, dans la rйgion appelйe le mont des Esprits, l'antique citй des Thraces : Perperikon la Sacrйe, vieille de 7 000 ans. Au pied de parois escarpйes, avec ses 12 000 m2, la forteresse se range parmi les plus importantes du mont Rhodope. Outre la citй, l'ensemble comprend plusieurs palais et le fameux sanctuaire ovale dйdiй а Liber Pater (Dionysos), oщ Alexandre le Grand vint questionner l'oracle avant de partir а la conquкte du monde. Peu aprиs la naissance de son fils Auguste (27 av. J.-C.), Octavius, « alors qu'il conduisait son armйe а travers des rйgions йcartйes de la Thrace », fit de mкme. Sur l'autel dressй au centre, un culte permanent йtait rendu а Dionysos.

    Le palais principal, en forme de L, comportait quarante piиces sur au moins trois niveaux, treize sont encore visibles ainsi que deux couloirs. Les deux cryptes et la salle du trфne (25 m sur 6 m) renforcent l'hypothиse selon laquelle, du temps de Tires et de son fils Sitalces, Perperikon a jouй un rфle de premier ordre, peut-кtre celui d'une des capitales du royaume des Odrysses - les rois thraces, fils de la Terre et du Soleil, possйdaient plusieurs rйsidences, de maniиre а pouvoir, а l'instar de l'astre solaire, йclairer jusqu'aux confins de leur royaume. Cependant, son histoire est bien plus ancienne. Le site cultuel, dйjа existant au Ve millйnaire av. J.-C., se maintint en activitй les trois mille ans suivants. Des centaines d'autels, dissйminйs dans la montagne environnante, en tйmoignent. La mise au jour, en 2003, d'une salle, creusйe dans la paroi, et dйdiйe elle aussi а Dionysos, corrobore cette datation. Les bвtiments, eux, dateraient des XVIIIe-XIIe siиcles av. J.-C.

    A l'йtй 2004, l'йquipe archйologique met au jour un nouvel йdifice, en partie creusй dans le roc. Long de 25 m et large de 7 m, il est fait de gros blocs de pierre, sans aucune maзonnerie. Le dйpфt obstruant un des canaux d'йvacuation des eaux remonte а l'вge de bronze rйcent, l'йpoque des hйros, de l'вge d'or de Mycиnes et de la guerre de Troie.

    La dйcouverte, pour la premiиre fois en Bulgarie, d'une inscription en linйaire-A (йcriture hiйroglyphique sur tablettes d'argile attribuйe aux Minoens), pose la question des йchanges entre les habitants de cette partie de la Thrace et leurs voisins du bassin йgйen. Le dйcor sur nombre de cйramiques et autres objets, prйcise Nicolai Ovcharov, tйmoigne d'une forte influence crйtoise et mycйnienne. Cette derniиre explique l'apparition d'une culture thrace originale, propre а la rйgion.

    Tout porte а croire qu'entre le XVIIIe et le XIIe siиcles, Perperikon, йtait, а l'instar de Troie et de Mycиnes, une ville au sommet de sa puissance. Une civilisation plurimillйnaire y repose sous des couches successives d'Histoire et de poussiиre. Sous l'oeil des 120 membres de l'йquipe, la ville se redessine peu а peu.

    Toujours pendant l'йtй 2004, а quelques lieues de l'antique ville, Ovcharov a ouvert un deuxiиme site. Une dizaine de personnes s'affaire autour de ce que leur chef appelle le « joyau » : un imposant rocher en forme de pyramide tronquйe qui coiffe la colline. Un sanctuaire « de sommet », vieux de 7 000 ans. Nous sommes en prйsence d'un monument funйraire exceptionnel, d'un mausolйe de plein air. Dans un renfoncement en demi-lune bйe une premiиre tombe ; une niche carrйe a dы abriter quelque objet ou reprйsentation а la gloire du dйfunt ; neuf marches mиnent vers le plateau supйrieur. Sur ce toit du monde, а ciel ouvert, est creusй un йtrange sarcophage. Depuis longtemps son couvercle et son contenu ont disparu. Cette tombe ne ressemble а aucune autre. Qui a йtй l'occupant de ce haut lieu ? Seul un кtre transcendant, mi-homme mi-dieu, pouvait prйtendre а pareil traitement. Orphйe ? Figure mythique de la Thrace, dont le souvenir hante, aujourd'hui encore, les esprits. La Grиce antique le considйrait comme l'initiateur des rites dits « orphiques ».

    Le point d'orgue de ces derniers consistait en la mise а mort symbolique du prкtre-roi et en la conception de la Dйesse mиre, source de vie. Le sacrifice d'un taureau (ou d'un humain) йtait suivi d'un coпt collectif. Dieu complexe, а facettes multiples, le champкtre et populaire Dionysos (en thrace, son nom signifie « fils du Ciel »), patron de la vigne et du vin, reprit dans ses cйlиbres fкtes de nombreux йlйments orphiques. Suivant l'hypothиse йmise dиs les annйes 1930 par le professeur Vйnйdikov, la tombe d'Orphйe, intercesseur de l'humain auprиs du divin, doit justement occuper un sommet rocheux, а mi-chemin de la terre et du ciel. Le professeur Ovcharov n'exclut pas cette possibilitй tout en pensant Rhйsos, roi lйgendaire dont Homиre parle dans L'Iliade . Les fouilles continuent.

    Depuis la chute du mur de Berlin, en 1989, aprиs cinq cents ans de joug turc et un demi-siиcle de communisme, la Bulgarie renoue avec son hйritage millйnaire, reprend le fil de son histoire, retrouve sa place de frontiиre naturelle de ce bouillonnant continent qui porte le nom d'une dйesse : Europe.

    Histoire et mythologie

    Les Bulgares renouent avec leur passй. Ce masque en or massif est celui de Tires, souverain des Odrysses (Ve siиcle av. J.-C.). Autre roi de lйgende : Lycurgue rendu fou par Dyonisos pour en avoir interdit le culte.

    Repиres

    VIIe s. av. J.-C.

    Dynastie macйdonienne qui prend fin en -168.

    -168/+500

    Occupation romaine.

    VIIe siиcle

    Arrivйe des Slaves.

    976-1014

    Rиgne du tsar Samoil sur un royaume qui comprend l'actuelle Macйdoine.

    1394

    La Macйdoine est soumise aux Ottomans.

    1912-1913

    Guerres balkaniques qui aboutissent au partage du territoire historique de la Macйdoine entre la Serbie, la Grиce et la Bulgarie.

    1945

    Crйation du premier Etat macйdonien moderne.

    1991

    Indйpendance de la Macйdoine.

    Vingt-cinq siиcles en arriиre # 208 #

    Gueorgui Kitov et son йquipe dйcouvrent ce masque de Seuthиs III (IVe siиcle av. J.-C.) dans la Vallйe des Roses en 2004. Quatre ans avant, prиs de lа, ils avaient mis au jour cette fresque thrace.

    Orphйe йchappй des Enfers ?

    Ce tombeau dйcouvert prиs de Perperikon par Nicolai Ovcharov (vignette) serait celui d'Orphйe (cйramique) ou du roi Rhйsos.

    En complйment

    La Rйpublique de Macйdoine, de Christophe Chiclet et Bernard Lory (L'Harmattan, 1998).

    Histoire des Balkans, de Georges Castellan (Fayard, 1999).

    Histoire de la guerre du Pйloponnиse, de Thucydide (rййd. Gallimard, 2000).

    http://www.historia.presse.fr/

    Antiquitй

    Querelle autour de l'hйritage macйdonien

    En septembre 2003, un masque d'or est mis au jour dans une tombe antique de la ville d'Ohrid. Une dйcouverte qui relance le dйbat sur la Macйdoine antique et moderne.

    Par Sйbastien Daycard-Heid

    D epuis plus de vingt ans, Pasko Kuzman, l'archйologue macйdonien, se consacre а la mise au jour du patrimoine archйologique d'Ohrid, l'ancienne Lycnidos (lire encadré . Son travail a ainsi permis de redйcouvrir la basilique byzantine de Plausnic, ou encore le thйвtre grec d'Ohrid, ainsi que plusieurs dizaines de milliers d'objets exposйs aujourd'hui au musйe de la ville. Mais le masque d'or, dйcouvert en septembre 2003 dans une tombe de la forteresse du tsar Samoil, sur la colline de Plausnic, en est la piиce maоtresse. « Au-delа de la raretй de ce type d'ornement funйraire dans les Balkans, avec ce masque, explique Pasko Kuzman, je tiens la preuve qu'il existe un lien direct entre les tribus qui occupaient alors le territoire de l'actuelle Macйdoine et les grands ancкtres de la Macйdoine : Philippe II et Alexandre. »

    L'archйologue continue : « Les tombes qui entouraient celle oщ nous avons dйcouvert le masque ont йtй creusйes entre le Ve siиcle av. J.-C. et le Ve siиcle aprиs. La plupart appartiennent а la pйriode grйco-macйdonienne (IIIe-IIe siиcle av. J.-C.). » Il apparaоt que ce masque date du Ve siиcle av. J.-C. De taille plutфt modeste, il йtait dйposй dans la tombe avec une sorte de gantelet en or et quelques bijoux. L'interprйtation qui a la faveur de Pasko Kuzman est la suivante : « Quand un homme mourait, il йtait incinйrй puis ses cendres йtaient dйposйes dans une tombe а l'intйrieur de laquelle on disposait un masque d'or reprйsentant son visage ainsi qu'une main et que d'autres menus objets d'or. » Le scientifique йvoque aussi l'hypothиse d'un culte liй а l'astre solaire. Un peu comme celui auquel sacrifiиrent les Egyptiens, les Crйtois ou... les Incas. Pour l'archйologue, le dйfunt devenait alors un intercesseur entre les morts et les vivants.

    Mais avant tout, la dйcouverte de ce cinquiиme masque d'or - quatre autres furent trouvйs au dйbut du XXe siиcle а quelques kilomиtres d'Ohrid - est pour Pasko Kuzman une « avancйe significative pour l'archйologie macйdonienne, balkanique et europйenne ». Ce masque est, selon lui, la preuve d'une « filiation entre les tribus brigiennes et enheliennes qui vivaient а Ohrid et Philippe II de Macйdoine... », le pиre d'Alexandre le Grand. En effet, explique-t-il, « les motifs ornant le masque d'or sont semblables а celui du soleil de Verghina ». Autrement dit, le mкme que celui qui dйcore les coffrets dйcouverts dans la tombe de Philippe de Macйdoine retrouvйe, par Manolis Andronikos, en 1977 а Verghina (autrefois Aighai la plus ancienne capitale des rois de Macйdoine, en Grиce).

    Pour Bernard Lory, chercheur а l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et spйcialiste de cette rйgion, l'affirmation d'une telle ressemblance est plus directement liйe а la nйcessitй pour la Macйdoine de trouver un emblиme national. « Ce pays n'a existй que quelques dizaines d'annйes en tant qu'entitй politique au Moyen Age, avant de tomber sous la coupe de la Bulgarie et d'кtre soumise en 1394 par les Ottomans durant cinq siиcles. » Puis les guerres balkaniques (1912-1913) et la Grande Guerre ont divisй en trois la Macйdoine historique : la Macйdoine du Pirin aujourd'hui bulgare ; la Macйdoine йgйenne situйe au nord de la Grиce ; et enfin la Macйdoine du Vardar. C'est-а-dire l'actuelle Macйdoine qui fut dиs sa crйation occupйe par les Serbes, qui l'appelaient alors « Petite Serbie ». Ce n'est qu'а la fin de la Seconde Guerre mondiale que rйapparaоt un Etat macйdonien, au sein de la fйdйration yougoslave de Tito. Des Macйdoniens qui n'accиdent а une pleine indйpendance qu'en 1991, lorsque la Yougoslavie implose... En fait, la plupart des sites archйologiques macйdoniens sont situйs en Grиce. La dйcouverte du masque sur le territoire de l'actuelle Macйdoine, permet а ses habitants de se singulariser, par rapport а leurs voisins serbes, bulgares... et grecs.

    Chacun en effet cherche а s'approprier l'hйritage. Quand le pays a accйdй а l'indйpendance, son gouvernement a fait appel а une йquipe de « crйatifs » pour remplacer le drapeau rouge frappй d'une йtoile jaune. Cette йquipe a alors pensй au soleil de Verghina, mais devant l'opposition des Grecs, qui craignaient que cela soit le premier pas d'une revendication territoriale sur la Macйdoine grecque, le motif a йtй stylisй pour aboutir au drapeau actuel. « Aucun Macйdonien ne connaissait ce motif avant la dйcouverte du tombeau de Verghina. On joue avec des symboles йternels qui n'ont pas plus de vingt ans », souligne, non sans ironie, Bernard Lory.

    Pourtant, Pasko Kuzman ne s'appuie pas uniquement sur la ressemblance troublante entre les motifs dйcouverts dans la tombe de Vergina et ceux du masque d'or. Il s'appuie aussi sur une sйrie de piиces de monnaies retrouvйes lors de prйcйdentes fouilles а Ohrid. « Elles sont la preuve que Lychnidos йtait macйdonienne ! Regardez, c'est un fait, on y retrouve un motif semblable au soleil de Verghina », dit-il en brandissant une piиce.

    Ohrid, citй millйnaire

    Passionnй par l'histoire de la ville qui l'a vu naоtre, Pasko Kuzman retrace les grandes йtapes du destin d'Ohrid : « Tout dйbute au nйolithique. Des archйologues du dйbut du siиcle ont retrouvй les traces d'une citй sur pilotis, mais la montйe des eaux l'a fait disparaоtre. Pendant l'Antiquitй, Ohrid s'appelait Lychnidos c'est-а-dire la « Lumiиre de Dieu », et ses habitants йtaient les Brigiens, qui se nommeront plus tard les Phrygiens, les Ohrygiens et les Enheliens, selon Hйrodote et Apollodore d'Athиnes. » Au milieu du IVe siиcle av. J.-C., Ohrid est conquise par Philippe II de Macйdoine. En -148, c'est au tour des Romains de soumettre la rйgion. « Ils ont construit la cйlиbre via Ignatia qui passait par Ohrid et Thessalonique et reliait Rome а Constantinople via Durrлs sur la cфte Adriatique de l'Albanie. » Une route commerciale dont l'archйologue Pasko Kuzman a retrouvй quelques vestiges dans les contreforts des montagnes qui forment la frontiиre entre la Macйdoine et l'Albanie. « Avec la propagation du christianisme, qui dйbuta а la fin du IIIe siиcle, les anciens monuments paпens furent peu а peu remplacйs par des йglises dont beaucoup ont йtй redйcouvertes dans les environs de la ville. Aujourd'hui, la lйgende veut qu'il y ait une йglise pour chaque jour de l'annйe, mais зa, c'est pour faire plaisir aux touristes », conclut Pasko Kuzman.

    http://www.historia.presse.fr/
    Last edited by ISTORIK; 31-07-2005, 17:25. Причина: Автоматично сливане на двойно мнение
    Ако мислиш за 1 година напред, посей ориз, ако мислиш за 10 години напред, засади дърво, а ако мислиш за 100 години напред - образовай населението!!!
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